De Villeglé à la ville
Ayè! On est lundi, ce qui achève un week-end end assez intense qui commence jeudi soir avec le collage d’une œuvre de Jacques Villeglé au M.U.R. ( Les détails sont chez Vito ). Villeglé? Pas si évident à prononcer ce nom. Mais attends c’est qui déjà? Ah ouais, une prof d’art plastique m’en avait parlé au lycée, quand je lui avais montré un de mes collages. Ça me rappelle aussi une soirée rigolote durant laquelle je m’étais retrouvé dans un appartement très bourgeois dont les fenêtres donnaient sur la Tour Eiffel (Pour de vrai, hein! Je ne te parle pas d’une vue que tu as du fin fond des toilettes sur la pointe des pieds). La famille était liée avec les Guggenheim, si je me souviens bien. Du coup ils avaient une jolie collection de peintures dont deux toiles de Villeglé. Ah! Et puis il y a Beaux Arts magazine qui lui consacre un article à l’occasion de sa rétrospective à Beaubourg. Bon bah j’ai lu son nom un peu partout finalement, ça ne m’empêche pas d’avoir toujours du mal à faire la liaison entre le « Ville » et le « glé ».
En fait c’est lui qui s’est amusé à arraché les affiches publicitaires dans la rue pour les maroufler sur toile. Ainsi il a fait des collages assez interessant, au sens où il créé des rencontres improbables entre des images et parfois des typographies. Un petit amoncellement d’affiches déchirées, recollées, superposées. Il est bien dans la tradition du collage ou ses éléments de base sont des visuels créés par d’autres qu’il recycle pour recomposer une image. Alors je ne suis pas un gros fan mais ça me parle, au sens où je vois ce type de collage directement dans la rue. J’ai en tête un panneau d’affichage (ci-dessous) vu dans un couloir de metro, Porte de Choisy, qui venait d’être nettoyé. On avait arraché beaucoup de couches d’affiches. Du coup de vieilles couleurs un peu démodées avaient refait surface. Du Villeglé créé par le hasard. Une image peut être pas aussi forte mais interessante alors qu’elle ne résulte pas d’une volonté artistique.
Lorsqu’une affiche artistique à la chance de survivre quelques semaines dans la rue, même lorsqu’elle est partiellement déchirée, d’autres s’y greffent: par dessus, à coté, celles d’en dessous peuvent même réapparaitre. De fait le collage devient mouvant. On peut y ajouter les intempéries, l’usure de la ville et les interactions des passants. C’est ce plaisir de voir évoluer son travail, de le libérer, de l’offrir à la merci du temps et du nettoyage, qui me fait en partie comprendre l’art de cet artiste de 82 ans. Il recréé artificiellement le vécu d’un mur, en se servant de matériaux directement issu de la rue.
J’ai rarement eu le plaisir de voir une de mes affiches réellement survivre. Néanmoins j’ai en tête un collage qui date de début 2005. Un insecte rouge. En fait je l’avais peint pendant l’été 2004 puis je l’avais roulé et oublié. Je ne sais plus pourquoi mais j’avais la flemme de le coller. Un jour je suis retombé dessus. Je me suis dit qu’il méritait d’être un petit peu étoffé. Assez vite l’idée d’utiliser mon logo tel un blason, d’en faire une sorte d’armoiries, m’est apparue. Une branche de chaque coté, le nom au dessus, des couleurs simples et le tour est joué. L’affiche a trônée sur le mur d’une ancienne pharmacie pendant deux ou trois mois. D’un mur entièrement vierge on a pu voir passer les « Oui » et les « Non » à la constitution européenne, des publicité, des sorties d’albums, des spectacles, etc. J’ai pas pris beaucoup de photos à l’époque, j’ai juste ces quelques exemples. Ce qui m’a amusé c’est que les colleurs ont à peu prêt respecté mon collage. L’air de rien cet insecte triomphant m’a marqué, il m’a poussé à continuer à faire ce genre d’héraldique ( visibles ici: photo 39 à 64 ). Tiens, d’ailleurs ça serais marrant d’en refaire un à l’identique.
Retournons à jeudi soir. Pour l’occasion je me replonge dans l’article de Beaux Arts magazine. Il joue sur la personnalité du monsieur. On retrouve une tradition chère aux historien/journaliste de l’art, celle de vendre un artiste en suivant certains codes qui séduisent le public (à lire -si je ne me trompe pas- l’ouvrage de Nathalie Heinrich La Gloire de Van Gogh ). Je résume grossièrement. L’image d’un artiste, même talentueux, qui aurait étudié et qui plairait à l’institution n’est pas très funky. Ça sent le premier de la classe. On préfère souvent créer un petit mythe qu’on retrouve dans beaucoup de biographies. L’artiste autodidacte qui révèle son talent par le plus grand des hasards, qui surprend des grands noms de la peinture, qui vit en retrait, exilé, qui revient finalement tel le compte de Monte Christo prouver à l’institution qui l’a ignoré trop longtemps qu’il mérite d’être sous les projecteurs; ce type de portrait devient presque un classique. On en arrive à nier la valeur du travail, de la réflexion au profit d’un heureux hasard. On y perd aussi le savoir faire qui s’enseigne pour souligner d’une façon faussement modeste l’idée qu’une étincelle de talent suffit à porter une carrière. Je trouve ça hyper infantile comme procédé. Comme si on allait se dire « T’imagine si en plus il avait eu la chance d’aller au Beaux Arts? T’imagine si on l’avait soutenu? ». Alors que souvent ces artiste dont on fait la biographie ont eu un parcours moins bohème et surtout ont produit des œuvres qui ne nécessitent pas d’être enrobées dans une histoire qui laisse à penser qu’il y a un potentiel encore plus exceptionnel derrière leur auteur. Personnellement je ne pense pas qu’un Super Saïan dorme au fond de chaque artiste. Bref, l’article du magazine n’est pas aussi radical mais il a quand même les deux pied dedans. Catherine Francblin, son auteur, joue sur le fait que Villeglé ait été plus ou moins laissé de coté par l’institution, elle le cite « Je suis assez content d’avoir eu l’institution contre moi ». Il se vante de n’avoir ni Bac ni formation artistique, plus discrètement l’article nous rappelle qu’il a fréquenté les Beaux Arts de Rennes. On nous parle de « voyous » et de « canaille » alors qu’il est issu de l’aristocratie bretonne. Personnellement je n’ai rien contre personne, tant que les gens s’assume. Ce qui me saoule c’est les gens qui portent des masques alors qu’on subit assez les clichés et les préjugés.
Après ce coup de gueule je vais avoir du mal à vous convaincre que je suis allé au M.U.R. de très bon cœur. Après tout ce n’est qu’un article, ça ne change en rien ce que j’ai pu éprouver en voyant ses toiles marouflées. En fait j’ai même appelé quelques personnes pour m’y accompagner. Encore une fois, l’artiste que je venais voir était celui connu pour ses décollages/recollages/recomposition d’affiches. Quel meilleur terrain que ce M.U.R. ? L’affiche précédente était celle de Pisa 73 et Evol. Et je pense qu’il y en avait quelques autres en dessous. Une action au cutter? Une sorte de performance où l’artiste arrache à même le mur pour y recoller. Tel un Tir de Nikki de Saint Phalle où la destruction partielle de l’œuvre participe à sa création? Je n’ose l’espérer. Au moins un collage en plusieurs couches ou un repassage. DÉCEPTION ! Rien de tout ça. Il n’a pas joué de son support alors qu’il est à la source même du matériau qui l’a rendu célèbre. Une affiche toute simple. Fond blanc, quelques coups de bombes, des typos assez bof. Bah ouais papy, on ne s’improvise pas artiste de rue. Tout comme je trouve que certains « street artists » ne se foulent pas lorsqu’ils changent de décor et qu’ils entrent en galerie. Si une œuvre d’art est en dialogue avec son temps elle est aussi en dialogue avec son espace, le cadre dans lequel elle est présentée. Vive les artistes qui cassent les barrières et se baladent d’un support à l’autre, mais qu’ils n’oublient pas de s’appliquer.
Pour le reste c’était assez amusant de voir d’un coté le « maître » à la figure des plus sympathique entouré de photographe et de curieux et de l’autre, face au mur, ses « assistants » dont un en costume (mon préféré) en train de coller son affiche sur les 8 mètre qu’offre cet espace. Il y avait presque une sorte d’insolence assez plaisante vis à vis de cette pratique qui me tient à cœur. Un pied de nez à l’audace qu’ont parfois les artistes de rue.
Comme la longueur de ce texte peut le montrer, cette déception m’a quand même inspirée. C’est là que l’art est intéressant, lorsqu’il nous montre qu’il est capable de nous faire décoller de l’image pour stimuler notre imagination et nous plonger dans une rêverie teintée de quelques réflexions. Je comparerais ce moment aux quelques heures passées sur l’autoroute ce week-end, plutôt inintéressante en tant que tel, mais définitivement utile puisqu’elle m’ont amené à vivre quelques chose d’assez intense.
Je viens de finir mon texte et je découvre sur l’Ekoblog de Vito (décidément) que l’affiche a été dérobée . Bien sure je condamne ce genre de gestes. Pas parce qu’on a touché à son œuvre, ce qui est dans la rue appartient à la rue. Mais parce que ses auteurs sont allés trop loin ou pas assez. Quitte à l’arracher autant en faire du Villeglé et la recomposer, la recoller, en jouer. C’est comme le mec qui déclare avoir pissé dans l’urinoir de Duchamp et qui s’est en fait dégonflé pour y verser du thé! Mais là je ne vais même pas chercher à y voir un geste artistique, c’est évident qu’il s’agit juste d’argent, ou du moins d’une appropriation d’une œuvre qui était destiné au plus grand nombre. La victoire de l’individualisme sur la générosité du geste artistique me révolte toujours.
J’ai pas réussit à faire des photos géniales mais j’ai fait une vidéo. Juste besoin de temps pour la monter afin d’illustrer ce texte.
(Sorry guys, no translation this time. I’m a lazy person and pretty busy these days.)